
obsession
Des bottes de rando qui donnent de la confiance et de l’assurance, mais aussi de la honte.
En 6e année, toutes les filles de l’école avaient le béguin pour le nouveau, Jeremy. Moi, je n’en pinçais que pour ses bottes de rando Salomon.
Je n’aimais pas vraiment les bottes, en fait. Elles étaient laides. Brunes, grossières et bizarres, avec une grosse languette qui recouvrait les lacets. Mais Jeremy se déplaçait aisément dans le monde – détendu, charmant et désirable. Je voulais ça, moi aussi. J’imaginais ses bottes à mes pieds. Robustes et fortes. Les filles n’étaient pas censées aimer les choses laides, mais je me sentais à peine comme une fille et j’avais besoin de l’exprimer.
Durant des semaines, mes parents m’ont conduit.e à travers la ville, d’une boutique de chaussures à l’autre, et on nous répétait chaque fois la même chanson : On n’a pas de Salomon pour garçons dans ta taille. » On n’en trouvait nulle part.
Les plus petites que j’ai trouvées étaient des 7 pour garçons. Trois tailles trop grandes pour moi, mais j’étais désespéré.e. Le vendeur s’est agenouillé et a enfoncé son pouce dans l’espace entre mes orteils et le bout du soulier. Rien que du vide. C’était gênant.
Je me suis levé.e pour me regarder dans le miroir en pied, espérant ne pas aimer ce que j’y verrais.
Mais j’ai adoré.
Ces bottes me donnaient de l’assurance. J’occupais l’espace d’une toute nouvelle façon. Comme le faisaient Jeremy et les autres gars. Au magasin, je marchais avec aplomb. Mes pas étaient assurés. J’avais confiance en moi.
« Je les prends », ai-je dit.
Je les portais dans la maison, mais je n’arrêtais pas de trébucher. J’adorais la sensation de les porter, mais je m’en voulais d’être aussi petit.e. J’étais déchiré.e entre cette nouvelle confiance et la honte de porter des bottes aussi laides. Mais si je les rendais, je risquais de ne plus jamais me sentir aussi bien dans mon corps.
J’ai quand même dû me rendre à l’évidence. Elles étaient trop grandes. Je les ai rapportées avec ma mère le lendemain. J’étais démoli.e.